Nous apercevons Corinne, la maitresse de cette caverne fleurie, penchée sur un pain de mousse où elle s’applique à planter des réservoirs à eau qui accueilleront les tiges de magnifiques roses rouges. « Voilà, je ne suis pas mécontente de ma composition » dit-elle en nous voyant.
Ainsi commence notre voyage dans le passé avec notre « bouquetière » fosséenne, comme on nommait au début du 18ème siècle, ces vendeuses de petits bouquets sur les marchés des grandes villes. Si depuis l’antiquité, l’usage des fleurs est connu, la première boutique de fleuriste fut ouverte au Palais Royal à Paris en 1830 … et si depuis l’eau à couler sous les ponts, les fleurs accompagnent toujours les moments marquants de la vie des hommes.
« Dans ma jeunesse, j’habitais le village où se trouvait la boutique de Mirine Fleurs, précisément place du Château. Et c’est là que tout a débuté et que mon intérêt pour les fleurs est né. Je passais des journées à donner un coup de main à Mirine, surtout en périodes d’affluence, comme pour la Fêtes des mères, la Saint Valentin, enfin pour tous les évènements qui font d’un bouquet le plus joli des messages. Mirine fut plus qu’une « patronne », elle fut le cœur de ma passion, le guide de mes premières compositions. Elle sut m’encourager tout en laissant libre cours à mon inspiration en m’enseignant les gestes essentiels à ce beau métier. Tant et si bien que lorsqu’elle voulut en 1982, en plus de son savoir et de son expérience me céder son atelier que j’aimais passionnément, c’est avec fierté et émotion que j’acceptai. À 22 ans, je m’engageai sur un chemin que jamais je n’ai quitté ! ».
L’évocation de ce passé pas si lointain ne se fait pas sans émotion… et Corinne se concentre à présent sur les difficultés qu’elle a dû affrontées, car fleuriste, ça n’est pas de tout repos ! « Tout d’abord, autodidacte et sans diplôme, j’ai dû suivre une formation de gestion en entreprise pour avoir le droit d’exploiter un commerce. Ceci fait, je me suis lancée à corps perdu dans cette aventure et je peux vous assurer que cela n’a pas toujours était facile. J’allais m’approvisionner à Ollioules dans le Var très tôt le matin, maintenant, il est plus aisé de se faire livrer. Aujourd’hui, 80 % des fleurs que j’utilise sont françaises : tulipes, gerbera, anthurium et bien-sûr les roses… Les journées sont longues, dans ce travail il n’y a pas ou peu de jours fériés, on peut passer des nuits à préparer des compositions et la vie de famille peut en être impactée. Les mariages dès le printemps occupent bien mes semaines et le maniement du sécateur et de l’épinoir à rose dure des heures dans le froid et l’humidité de l’atelier. Mais quel bonheur ensuite de voir la satisfaction de mes clients dont je connais quasiment par cœur les gouts, avec qui depuis tant d’années j’ai tissé des liens forts et qui sont devenus pour certains des amis. J’ai mis à leur service mon imagination et partagé avec beaucoup d’entre eux, leurs joies pour les naissances, leurs émotions pour les mariages et aussi leurs peines pour les décès ».
Elle nous précise que c’est cette proximité et la qualité du relationnel qui font la différence avec les grands magasins franchisés et ajoute qu’elle est fière d’avoir accueilli de nombreux stagiaires de 3ème du collège André-Malraux ; d’avoir été aussi la formatrice de jeunes fosséennes les amenant au C.A.P avec réussite, (petit clin d’œil à Émeline, Marina et Laurence) et de leur avoir insufflé toutes les ficelles de la profession.
Transmettre le savoir-faire est aussi une grande satisfaction pour un artisan et la pérennité de son entreprise ne l’inquiète pas vraiment : « Dans 3 ans, je pense lever le pied, la retraite se profile mais j’ai la certitude qu’un fils, un neveu ne sont pas très loin de prendre la relève, même si je sais que je serais toujours à proximité pour continuer à distiller quelques conseils… à inventer, à créer que ce soit dans le domaine de la fleur fraiche ou séchée ou dans celui de la décoration florale en général ! ».
Soudain le téléphone l’interrompt, une commande urgente… Corinne virevolte aux milieux de vases bien fournis, nous nous éclipsons discrètement, et chemin faisant, songeant à la jolie destinée de l’unique fleuriste de notre cité, nous effeuillons une marguerite, oui cet artisanat, « nous l’aimons, un peu beaucoup, passionnément à la folie… ».