Ce qui est remarquable en parcourant ce webdocumentaire, sur le site Internet https://fos200ans.fr c’est l’extraordinaire travail de recherche mené, depuis plusieurs années, par les chercheurs du laboratoire TELEMMe, Temps, espaces, langages, Europe méridionale, Méditerranée, basé au sein de la Maison méditerranéenne des sciences de l’Homme à Aix-en-Provence. Plus d’une centaine d’illustrations, des photos, des vidéos et des interviews nous permet de remonter le temps et d’en savoir plus sur l’histoire industrielle de Fos-sur-Mer et du pourtour de l’étang de Berre. Ainsi, des historiens, des géographes ou encore des sociologues, ont sillonné le territoire, retrouvé des documents d’archives, questionné les habitants afin de comprendre l’impact des implantations industrielles sur la population.
UNE INDUSTRIALISATION VIEILLE DE 200 ANS
Dès le début du XIXe siècle, les habitants de Fos-sur-Mer et des alentours sont déjà mobilisés face à l’industrialisation de leur territoire. Xavier Daumalin, le directeur du laboratoire TELEMMe, professeur d’histoire contemporaine à l’Université d’Aix-Marseille et spécialiste d’histoire économique précise : « Ce qui est à noter, tout d’abord, c’est l’ancienneté du rapport de force entre les industriels, les riverains, les experts et les pouvoirs publics, avec des discours et des acteurs que l’on pourrait retrouver aujourd’hui, ainsi que des décisions qui accordent davantage d’importance au développement économique et à l’emploi plutôt qu’à l’environnement et à la santé des riverains ». Ainsi, nos ancêtres s’inquiétaient déjà des conséquences des implantations d’usines sur la santé, sur les écosystèmes et sur la poursuite d’activités ancestrales comme la pêche, les activités agropastorales et la récolte du sel. L’exemple le plus marquant reste certainement l’usine de soude du Plan d’Aren, (orthographiée sans la lettre « c », Ndlr) située sur les bords de l’étang de l’Engrenier. Construite au début du XIXe siècle, elle va profondément modifier l’écosystème de l’étang, en y rejetant les résidus de sa production. Entre 1828 et 1846, les habitants de Saint-Mitre-les-Remparts se révoltèrent à plusieurs reprises contre cette usine accusée d’être à l’origine de graves crises de surmortalité, avec plus de 350 décès. Le rapport de force entre les industriels, la population et les pouvoirs publics s’est ensuite amplifié au fil des ans. Au début du XXe siècle, les riverains se sentaient de plus en plus dépossédés de leurs terres et les protestations étaient de plus en fortes, avec notamment une mainmise de la Chambre du commerce et de l’industrie sur une partie du littoral, avec ce que l’on appelle les Annexes et qui devenaient peu à peu le deuxième site portuaire de Marseille.
LES TRENTE GLORIEUSES
Dans l’un des entretiens à visionner sur le site https://fos200ans.fr, Fabien Bartolotti, docteur en histoire contemporaine explique : « Ce que pose la question des Trente glorieuses, à partir des années 50, c’est cette volonté d’industrialiser massivement un littoral avec des implantations lourdes sur un territoire qui avait déjà une histoire industrielle. On change d’échelle pendant cette période, en raison notamment de la mondialisation et de l’émergence du marché commun européen. Ces transformations entraînent d’importantes conséquences environnementales. » L’un des exemples de cette forte industrialisation reste notamment l’implantation du site sidérurgique. En parcourant le webdocumentaire, on peut notamment lire : « Grand rêve des milieux d’affaires marseillais depuis les années 1950, l’implantation d’un haut fourneau sur le littoral provençal se concrétise en décembre 1969 lorsque les sidérurgistes lorrains de la Sollac décident, pour surmonter la crise qui frappe leur région, de délocaliser leur production sur le rivage fosséen sous la raison sociale Solmer. La construction de l’usine s’avère complexe et ne s’effectue pas sans heurts. Elle suscite de multiples mobilisations parmi les ouvriers du chantier soumis à des conditions de travail éprouvantes et parmi les dockers qui lancent un vaste mouvement de grève en 1973, afin de s’opposer à la privatisation du quai d’importation minéralier accolé à l’aciérie. Occupant un terrain de 1 500 hectares, employant jusqu’à 6 500 personnes et exportant, par mer, 1,3 million de tonnes d’acier en 1978, la Solmer devient – malgré des résultats en deçà des espérances – une pièce maîtresse d’une Zip de plus de 7 000 hectares sur laquelle le Pam (Port autonome de Marseille, Ndlr) exerce son rôle d’aménageur. » C’est aussi pendant cette période que notre commune a commencé à changer radicalement de visage. Ainsi, un reportage télévisé revient sur la pose de la première pierre par Jean-Jacques Féraud, maire de Fos-sur-Mer entre 1965 et 1977, du futur quartier de la Jonquière qui, selon le journaliste, devait bientôt accueillir 2 000 personnes.
DEPUIS L’AN 2000
Christelle Gramaglia, sociologue à l’Inrae, l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement, s’est notamment penchée sur l’étude de cette période : « Lorsque l’on rencontre la population, on se rend compte de l’attachement très fort pour ce territoire, avec l’envie de le défendre et de continuer à vivre sur place, malgré la proximité avec les sites industriels et les conséquences sur la santé et l’environnement ». Ainsi, alors que les années 80 et 90 étaient plutôt calmes sur la plan de la contestation face aux implantations industrielles, les grands projets annoncés, dès le début des années 2000, ont relancé la mobilisation. Notamment l’implantation du Terminal méthanier sur la plage du Cavaou, ainsi que la construction de l’incinérateur, à l’initiative de la Communauté urbaine de Marseille, qui ont créé une mobilisation sans précédent du côté des riverains. Cette colère, voire même ce désarroi, ont poussé la population à demander des études sur les conséquences sanitaires et environnementales des implantations industrielles. Cette volonté citoyenne a été à l’origine de la création par la Ville de Fos-sur-Mer et le San Ouest-Provence de l’Institut écocitoyen pour la connaissance des pollutions en 2010.
L’origine du projet
Selon Xavier Daumalin, le directeur du laboratoire TELEMMe : « Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ce projet n’était pas prévu. Il est le prolongement inattendu du travail d’une historienne de notre équipe sur l’analyse socio-historique du territoire industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer. Regards croisés sur l’œuvre du photographe indépendant Jacques Windenberger. » Ces travaux ont été présentés aux Fosséens pendant l’exposition Les Trésors engloutis du port de Fos, en 2019 dans le souterrain de l’Hauture, grâce à un mur d’images qui permettait de lier l’analyse photographique et l’histoire économique, sociale et environnementale du territoire. Pendant leurs recherches, les scientifiques ont voulu aller plus loin, en remontant le cours de l’histoire et en s’intéressant à l’industrialisation de l’ensemble du pourtour de l’étang de Berre. Pour mettre en valeur ce formidable travail de recherche, le laboratoire TELEMMe a fait le choix d’un webdocumentaire, accessible gratuitement, avec une navigation facile, notamment sur les smartphones. L’occasion aussi de faire découvrir les coulisses de la recherche scientifique et d’en savoir plus sur les méthodes de travail des chercheurs, avec des protocoles rigoureux.